Traduction de Maxime Neslin, étudiant en licence LEA Anglais-Allemand à l’Université de Picardie Jules Verne (2024)
Des recherches macabres, mais très sérieuses : dans les années 1950, des chercheurs britanniques auraient ramené à la vie des morts congelés peu communs en utilisant un four à micro-ondes qu’ils avaient inventé inopinément dans le cadre de leur projet de recherche.
Photo : D’abord figé dans la glace – puis ramené à la vie. Crédits : Unsplash/Jan Kopřiva.
Il venait juste de terminer la dernière bouchée de son chou blanc, accompagnée d’une gorgée d’une boisson au goût sucré, lorsque la porte grillagée s’ouvrit derrière lui. Un jeune homme s’approcha rapidement, le saisit sans un mot et le conduisit hors de la petite pièce où il avait passé les derniers jours seul, pour l’emmener dans l’un des nombreux laboratoires du « National Institute for Medical Research » de Londres. Sans explication, il fut enfermé dans une étroite chambre froide. Il ne se défendit pas, sachant que cela aurait été vain.
Il était assis par terre, frissonnant. Le thermomètre accroché au mur de la pièce affichait depuis près d’une demi-heure une température glaciale de 2 °C. Le froid et le manque croissant d’oxygène l’avaient comme tétanisé ; il ne bougeait plus, et sa respiration se faisait à peine entendre dans le silence. Lorsque la porte de la chambre froide s’ouvrit à nouveau au bout d’une demi-heure, il était déjà inconscient depuis un certain temps. Il ne vit pas qu’on le plongeait peu après dans un bassin de liquide glacé, dont la surface était recouverte de glace pilée. Seules sa bouche et son nez dépassaient, maintenus par des ficelles. Un thermomètre flottant entre les éclats de glace indiquait 5°C. Dans une dernière tentative de générer une chaleur vitale, son corps se remit à trembler de toutes ses forces. Mais l’eau froide aspirait inexorablement la chaleur de son corps engourdi. Sa respiration s’affaiblit de minute en minute, son cœur ralentit, puis finit par ne plus battre du tout.
Lorsque le corps du petit hamster doré fut retiré du bain glacé après presque une heure, il était inerte, gelé, dur comme du bois et sa peau grisâtre était recouverte de petits cristaux de glace à de nombreux endroits.
Ceci n’est pas une histoire d’horreur, il s’agit de recherches bien réelles
Ce qui, dans cette version volontairement dramatisée, se lit plutôt comme une histoire d’horreur, a eu lieu exactement de la même manière il y a maintenant près de 70 ans dans le cadre d’un projet de recherche sérieux. Tous les événements et détails décrits se retrouvent dans les articles scientifiques relatifs à ce projet. Pourquoi tout cela ? Qui pourrait mieux répondre à cette question que le « jeune homme » de notre histoire : malgré son âge respectable de de 102 ans maintenant, le scientifique britannique James Lovelock a volontiers accepté, à la demande de scienceguide.eu, d’en dire plus sur les tenants et aboutissants de ce projet : « Tant sur le plan médical que commercial, il y avait à l’époque un grand intérêt à pouvoir conserver des organes, des tissus et surtout du sang et des spermatozoïdes par congélation pendant de longues périodes en dehors d’un corps vivant et à pouvoir les décongeler plus tard sans les endommager ». Au début des années 1950, Lovelock a été l’un des premiers à mener des recherches sur la cryoconservation, c’est-à-dire la conservation de cellules et de tissus par congélation.
Le glycérol agit dans les cellules comme un antigel naturel
En tant que scientifique indépendant, diplômé de chimie et titulaire d’un doctorat de médecine, Lovelock travaillait à l’époque au gré de ses centres d’intérêt ou des missions qu’on lui proposait. Ainsi, en 1950, il fut sollicité par le National Institute for Medical Research pour apporter son expertise en physique-chimie aux biologistes Chris Polge et Audrey Smith.
Ces chercheurs venaient de découvrir que des cellules vivantes individuelles pouvaient être congelées pendant plusieurs mois dans une solution de glycérine et d’eau, puis décongelées sans subir de dommages. Cette prouesse était rendue possible grâce à la glycérine, un sucre-alcool également utilisé dans la nature comme agent antigel, par exemple chez les plantes ou par les insectes résistants à l’hiver. Cette substance, largement non toxique, pénètre dans les cellules et rend le liquide à l’intérieur plus visqueux. Cela réduit le risque de formation de cristaux de glace pointus, qui pourraient endommager les parois cellulaires fragiles.
Mais un autre processus met les cellules en danger lors de la congélation, selon Lovelock : « Le liquide à l’intérieur des cellules se compose non seulement d’eau, mais aussi de nombreux sels qui y sont dissous. Mais lors de la congélation des cellules, seule l’eau pure se transforme en glace, de sorte que les sels dissous s’accumulent dans le liquide restant jusqu’à ce qu’une concentration mortelle soit atteinte au bout d’un certain temps ». C’est ce que l’on appelle le « choc osmotique ». James Lovelock a découvert que la glycérine était également utile dans ce processus : en congelant les cellules dans le mélange d’eau et de glycérine, il s’est formé moins de glace d’une part, et la glycérine a ralenti d’autre part la concentration mortelle des sels.
Le sommeil cryogénique, au cœur même de la science-fiction
À cette époque, la littérature de science-fiction fantasmait déjà depuis des décennies sur la cryonie : les auteurs envoyaient leurs héros dans un sommeil cryogénique pour des voyages de plusieurs siècles vers des étoiles lointaines, ou les plongeaient dans un futur lointain sur Terre. On trouvait même déjà dans des livres des années 1930 l’idée de congeler des personnes atteintes de maladies incurables après leur mort, dans l’espoir de les guérir des centaines d’années plus tard grâce à de nouveaux traitements médicaux. Mais à cette époque, personne ne savait dans quelle mesure ces folles inventions pouvaient être réalisables.
De cellules individuelles à des êtres vivants entiers
Les découvertes de Polge et Smith sur l’effet antigel du glycérol dans les cellules individuelles ont marqué un premier pas important dans le domaine de la cryobiologie. Rapidement, d’autres expériences ont suivi : après avoir congelé et décongelé sans dommage des cellules sanguines et de grands groupes de cellules, la question des limites du procédé s’est posée : était-il possible de conserver des organes entiers, voire des êtres vivants complexes par congélation ?
Ainsi, seulement quatre ans après les premiers essais réussis avec des cellules isolées, les scientifiques ont entrepris des expériences avec des cobayes nettement plus grands : ils ont administré à des rats et à des hamsters le glycol, cette substance au goût sucré utilisée comme antigel, les ont refroidis dans un bain d’eau d’une température légèrement inférieure à 0°C, jusqu’à ce qu’ils soient médicalement morts, puis ont tenté de les ramener à la vie.
La décongélation doit être rapide et uniforme
Cependant, c’est précisément l’étape cruciale de la réanimation qui a posé problème aux cryobiologistes au début : quelle était la meilleure méthode pour décongeler les petits animaux ? « Plus un animal est grand et complexe, plus il est difficile de veiller à la bonne répartition de l’antigel dans tous les organes et toutes les parties du corps », explique Lovelock, ajoutant : « Les humains, par exemple, seraient déjà beaucoup trop grands. Les hamsters ont une taille encore tout juste convenable ».
Néanmoins, ils sont aussi concernés par cette règle : plus les hamsters restent congelés longtemps, plus le risque de choc osmotique dans leurs cellules augmente. La décongélation doit donc être rapide mais aussi uniforme. Car si, par exemple, certaines parties d’un organe ont déjà été décongelées, de sorte que le métabolisme est déjà actif, alors que d’autres parties de l’organe sont encore gelées et que leur métabolisme est inactif, cela pourrait entraîner rapidement des dommages irréversibles.
Du métal incandescent : une chaleur aux effets secondaires douloureux
Comme la protection des animaux n’était pas une préoccupation majeure à l’époque, les scientifiques ont d’abord tenté de résoudre les problèmes de rapidité et d’uniformité de manière assez radicale : « Ils ont appliqué une cuillère métallique brûlante sur le thorax des animaux jusqu’à ce qu’ils soient décongelés. Ils avaient ensuite de terribles brûlures », se souvient Lovelock qui, à l’époque, peaufinait surtout l’arrière-plan théorique des projets. Il s’agissait sans aucun doute d’une méthode rapide pour décongeler les petits hamsters d’à peine 100 grammes. En raison de l’énorme chaleur, on pouvait également s’attendre à ce que toutes les parties du corps décongèlent à peu près à la même vitesse.
Pour James Lovelock, qui dit avoir déjà utilisé son propre bras plutôt que des lapins dans des projets antérieurs de recherche sur les brûlures, cette méthode était inacceptable. Il a donc proposé d’utiliser une technologie qui permettrait de décongeler les animaux sans douleur et sans dommages permanents.
Les micro-ondes : la méthode douce
Lovelock savait que, depuis quelques années, les micro-ondes étaient utilisées pour réchauffer les aliments et à des fins médicales dans le cadre de la thermothérapie. Ce procédé, également appelé diathermie, présentait aux yeux de Lovelock le grand avantage que les micro-ondes pénètrent dans le corps et que la chaleur n’est produite que dans l’objet irradié lui-même. De plus, l’intensité des micro-ondes pouvait être bien réglée, de sorte que les animaux pouvaient être décongelés uniformément de l’intérieur.
Pour 10 schillings de sa propre poche, l’équivalent d’environ 17 euros aujourd’hui, Lovelock a acheté un émetteur radio du surplus de l’armée de l’air britannique capable de générer des microondes et l’a utilisé pour construire un appareil étonnamment simple permettant de décongeler les hamsters : les micro-ondes générées par l’émetteur radio étaient dirigées vers une cage en treillis métallique étroit via un « guide d’ondes », une sorte de tube métallique pour les ondes électromagnétiques. Le hamster congelé pouvait y être placé et décongelé. La cage métallique empêchait les micro-ondes de s’échapper.
Lovelock peut être considéré comme l’inventeur du four à micro-ondes domestique
Après des premiers essais avec des pommes de terre au four en tant que substituts aux hamsters, Lovelock a remplacé le simple émetteur radio par un magnétron plus puissant, tel que celui utilisé par la marine britannique pour générer des micro-ondes à des fins de repérage radar. De plus, il a ajouté un entonnoir pour distribuer les micro-ondes de manière plus uniforme dans la cage. Pour le reste, la structure d’origine est restée inchangée.
L’appareil conçu par Lovelock avait donc toutes les caractéristiques essentielles de nos micro-ondes modernes, et ce, dix ans avant que des modèles à usage domestique ne soient proposés par les entreprises. Les quelques fours à micro-ondes déjà existants étaient destinés à être utilisés dans les cuisines de restaurant, étaient aussi volumineux que des réfrigérateurs et coûtaient des milliers de dollars. En ce sens, James Lovelock peut être considéré comme l’inventeur de notre four à micro-ondes moderne.
Résurrection dans le micro-onde
À présent, il n’y avait plus qu’à faire les preuves de son invention dans la pratique, ce qui nous amène à la partie de notre histoire que Lovelock appelle sur son site Internet personnel « splendid performing circus stuff », c’est-à-dire « un magnifique numéro de cirque ». Et il n’a pas tort :
Lovelock saisit le hamster gelé, sans vie, le déposa sur le dos dans la cage métallique de son micro-onde, l’intuba délicatement et mit en marche l’appareil. D’abord, rien ne se passa. Mais après quelques secondes déjà, la cage thoracique du hamster commença à montrer de légers tressaillements ; d’abord faibles et saccadés, puis toujours plus forts et rythmés. Une veine dans le cou de l’animal se mit à battre. Ses lèvres, ses pattes et sa langue se teintèrent doucement de rose. Un bref frémissement des vibrisses fut suivi des premières profondes inspirations, de légers mouvements de la tête et – comme plus tôt lors de la congélation – de tremblements incontrôlables. Au bout de quelques tentatives, le hamster parvint à se retourner tout seul sur le ventre et à gambader. Dès le jour suivant, plus rien ne laissait deviner qu’il avait été mort pendant plus d’une heure.
Les chances de réussite sont limitées par la taille des êtres vivants et la proportion de glace
Plus d’une centaine de hamsters ont été réanimés avec succès de cette manière lors des expériences menées par Aubrey Smith et James Lovelock, après avoir été en état de mort clinique pendant une heure au maximum et avoir présenté parfois jusqu’à 40% de cellules congelées. De nombreux animaux ont ensuite vécu plusieurs mois apparemment en parfaite santé. Cependant, les expériences ont également révélé les limites de la méthode : si la proportion de glace dans le corps est trop élevée, la congélation est fatale. Aucun des hamsters congelés à plus de 55% n’a repris conscience. Lors d’essais ultérieurs avec des lapins et des lièvres, tous les cobayes sont même morts au plus tard un jour après leur réanimation en raison de lésions organiques, ce qui a conduit à l’arrêt des expériences.
Ce qui fonctionne pour les hamsters reste de la science-fiction pour les humains
Il semble donc que l’idée des auteurs de science-fiction d’envoyer des êtres humains en cryo-sommeil pour des voyages dans l’espace et dans le temps reste précisément cela : de la science-fiction. Près de 70 ans plus tard, la science ne dispose toujours pas d’un procédé fiable permettant de congeler des animaux de grande taille, des organes, voire des êtres humains entiers, sans provoquer de graves dommages cellulaires. Et ce, malgré l’intérêt toujours vif de la recherche médicale pour le sommeil cryogénique.