Incendies à Paris : il n’y a pas de fumée sans feu

Notre-Dame de Paris, Photo de LeLaisserPasserA38

Sur l’île de la Cité ou à Aubervilliers, les incendies créent des dégâts visibles etx invisibles. Pour mieux comprendre ces derniers, Emilie Launay, doctorante en mathématiques à l’École des Ponts et Chaussées développe un modèle pour calculer la hauteur du panache d’un feu et le niveau de concentration de polluants atmosphériques auquel la population urbaine est exposée.

Deux ans et un jour. C’est le temps qui s’est écoulé entre les deux incendies à la base du travail de recherche d’Emilie Launay. La doctorante à l’École des Ponts et Chaussées à Paris a été missionnée par le Laboratoire central de la préfecture de police après l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame. Son objectif : modéliser la dispersion des polluants dans l’air après un incendie de grande ampleur. Un travail conséquent dont l’application pratique s’est concrétisée le 16 avril 2021, quand un entrepôt de 4 000 m2 a pris feu à Aubervilliers, au nord de la capitale. « Au moment de cet incendie, tout était prêt », se remémore-t-elle.

Le 15 avril 2019, la catastrophe de Notre-Dame avait suscité beaucoup d’émois, mais aussi beaucoup de questions. D’où est parti le feu ? Dans quelle direction s’est déplacé le panache de fumée potentiellement toxique pour la population ? Quatre cents tonnes de plomb environ ont brûlé. Des plaintes ont été déposées pour mise en danger de la vie d’autrui. « On s’est rendu compte de la nécessité de mesurer l’impact de la pollution engendrée », explique Emilie Launay.

Pour cela, il faut modéliser un phénomène physique complexe : la dispersion atmosphérique ; c’est-à-dire le déplacement des particules polluantes du panache de fumée pendant l’incendie d’Aubervilliers. Impossible de prendre l’incendie de Notre-Dame comme objet d’étude, puisque les capteurs de pollution de l’air nécessaires au calcul n’ont rien observé d’anormal pendant le feu.

« Pour modéliser la dispersion, il faut partir des observations qui sont faites. Pour cela, j’ai utilisé les données de dix stations d’Airparif (organisme de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France, NDLR) disséminées dans Paris. »

Emilie Launay, Credit: Prunelle Menu

Pic de pollution à 6 km du départ de feu d’Aubervilliers

Si les capteurs étaient installés avant le début de sa thèse et si l’algorithme qu’elle a utilisé existait bien avant sa naissance, la chercheuse a toutefois réussi à développer un nouveau modèle de dispersion adapté aux incendies. Son idée a été de rassembler un ensemble d’outils déjà existant, mais qui n’avaient jamais été mis ensemble. « Je me suis concentrée sur la méthode qui assimile les données sur la qualité de l’air et je l’ai mise en place pour des incendies de grande ampleur », explique-t-elle.

Pendant les cinq heures qu’a duré l’incendie d’Aubervilliers, les capteurs ont identifié un passage de la fumée jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres, en direction du sud-ouest de Paris. Des concentrations anormales de particules ont été enregistrées, avec un pic de pollution situé dans le centre de Paris à environ 6 km de la source. « Mais le nombre de mesures qui ont été faites est limité. On a seulement une estimation de l’impact de la pollution engendrée à des points spécifiques. »

Néanmoins, la force de son modèle est de réunir un certain nombre d’observations précises, notamment celles fournies par Météo-France ou par le Centre d’enseignement et de recherche en environnement atmosphérique (CEREA). Cela n’avait jamais été fait avant. Ainsi, elle a réussi à représenter la hauteur du panache de fumée qui s’est élevée entre 200 et 300 m et la concentration de particules toxiques rejetés dans l’air (pic de pollution de 160 µg m3 à 6 km de la source).

La chercheuse s’est également appuyée sur des rapports de l’Agence régionale de santé (ARS) qui surveille la concentration de poussières polluantes retrouvées sur le sol. « Il me faut sans cesse réactualiser ma bibliographie, car ce type d’observations est toujours à l’étude. » C’est par exemple le cas de l’incendie de Notre-Dame, où l’exposition de la population au plomb a fait scandale. Quelques mois après l’incendie, des concentrations élevées de ce métal lourd ont été relevées sur le sol, obligeant les autorités à fermer le parvis de la cathédrale au public jusqu’aux opérations de dépollution. Le risque que les passagers ramènent des poussières toxiques chez eux, sous leurs semelles, était trop grand.

Répondre à un besoin

Le modèle développé par Emilie Launay pourrait donc permettre à l’avenir de déterminer rapidement les dégâts causés dans l’air ou sur le sol en cas d’incendie. « C’est un prototype qui peut être applicable à d’autres sujets. L’idée, c’est de soutenir une stratégie de prélèvement», dit-elle. Car plus d’observations sont faites et plus le modèle de dispersion atmosphérique du feu peut être précis. Gage de fiabilité, il pourrait alors servir d’outil pour les autorités compétentes.

« Ce qui m’a plu dans cette recherche, c’est qu’elle se rapporte à un cas concret dont les effets sont directement visibles. Je trouve ça intéressant d’essayer de répondre à un besoin pour la population. Tant mieux si cette recherche sert à quelqu’un d’autre qu’à moi-même », conclut-elle.

Dans une ville très dense comme Paris, le modèle d’Emilie Launay prend encore plus de sens. Pouvoir déterminer précisément la limite du risque de pollution entre deux rues très proches est un atout précieux. A minima, on peut se réjouir a minima que l’émoi provoqué par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris ait encouragé la recherche sur les risques et la prévention des incendies urbains de grande ampleur.

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